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JOURNAL PERSONNEL

Lundi, 9 janvier 1933, mont Erebus

 

Nous n’avons égratigné que la surface de cette ancienne cité et de la civilisation qui l’habitait.  Contrairement aux analyses préliminaires qui estiment l’âge de sa calotte glaciaire à des millions d’années, l’Antarctique aurait-elle déjà été une terre fertile et accueillante? 

 

Après avoir fait part de notre découverte au campement de base, nous renverrons sous peu une nouvelle équipe afin d’obtenir davantage de données scientifiques sur la cité.  Des empreintes géologiques seront également prises sur les parois de la faille que nous avons découverte.  Le nom de Charcot sera gravé à jamais dans l’histoire après une telle découverte.  Amundsen aura bien pu atteindre le Pôle Sud en premier, mais nous aurons décelé les traces de la plus vieille civilisation connue à ce jour.  Un peuple si ancien qu’il vivait dans ce continent si inhospitalier.  Dès l’Antiquité, les cartographes avaient supposé l’existence de la Terra Australis, un large continent hypothétique situé au sud du monde connu.  Lorsque l’Australie fut découverte, on lui donna son nom en référence à Terra Australis, théorisant à tort qu’il ne pouvait pas exister d’autre continent plus au sud.

 

 

Mardi, 10 janvier 1933, Scott’s Hut

 

Le décès de Monzimet est un coup très dur sur le moral de l’équipe.  Alors que nous étions encore émerveillés et intrigués par la découverte improbable de la cité antédiluvienne, la découverte de la dépouille de Monzimet donnait une nouvelle dimension à cette expédition.  Ce corps déchiqueté…  Malgré l’explication rapide de Gourdon, aucun animal n’aurait laissé des blessures aussi exhaustives sans laisser la moindre trace.  Sans compter que cette brave bête n’avait aucune trace de malice.   Gourdon ne faisait pas partie de notre expédition en Arctique lorsque Kelvin sauva la vie de Rouch, traînant son corps gelé jusqu’au campement, traversant ainsi plusieurs kilomètres dans le froid.

 

À l’exception des pingouins, mammifères marins, microorganismes et autres oiseaux passagers, aucune espèce indigène pouvant poser un danger pour l’homme ne fut rapportée durant les nombreuses expéditions passées.  L’endroit lui-même, après tout, est un danger suffisant.  L’Antarctique recèlerait-elle d’autres formes de vies inconnues, dissimulées dans ses entrailles glacées? 

 

À notre retour, Villeron dit avoir trouvé un cadavre gelé dans la neige, sans doute l’un des membres de l’expédition Terra Nova, il y a de cela près de vingt ans.  J’ai demandé à examiner la dépouille afin d’y déceler de possibles similitudes avec la cause du décès de Monzimet.

 

 

Mercredi, 11 janvier 1933, Scott’s Hut

 

Mes soupçons s’avéraient malheureusement fondés.  La dépouille trouvée par Villeron comporte de profondes lacérations, lesquelles constituent la principale cause du décès.  Je dénote également des signes de malnutrition.  Le corps est admirablement bien préservé étant donné la température ambiante, qui avoisine les 30 degrés sous zéro présentement.  Je n’étais qu’un jeune bambin lors de l’expédition de Terra Nova, mais l’incroyable bravoure de ses membres m’inspira à repousser les frontières de l’inconnu.  Les membres de l’expédition, après avoir constaté qu’ils avaient été battus de vitesse par Amundsen des semaines auparavant, tentèrent de retourner à leur point de départ.  Le froid intense, des troubles logistiques et la malchance firent qu’ils ne se rendirent jamais à bon port.  Le froid et les carences eurent raison du Capitaine Scott et de son équipe.  La dépouille de cet homme constitue donc d’autant plus une énigme.  Peut-être était-ce un membre de l’expédition Endurance, menée par Ernest Shackleton et appuyé par Aeneas Mackintosh.

 

 

Mercredi, 11 janvier 1933, Scott’s Hut

 

Nous avons ramené la dépouille de Gain.  Il était parti étudier les manchots empereurs à proximité du campement, et alors qu’il tardait à revenir, Modaine a retrouvé son corps lacéré.  Son équipement et ses écrits, quant à eux, sont encore intacts.  Nous avons également trouvé d’étranges plumes à l’aspect métallique, que nous avons décidé de ramener.  Il ne reste aucune trace de la bête qui a massacré le pauvre zoologiste, mais depuis quelques jours, il disait être sur la trace d’une nouvelle espèce de pingouins.  Il disait se sentir observer, et commençait à tenir des propos frôlant la paranoïa.  Cela défit toute raison…

 

 

Mercredi, 11 janvier 1933, Scott’s Hut

 

Les deux derniers décès n’ont rien de naturel, et me laissent croire que nous sommes destinés à mourir sur ce continent damné.  Je me prends à faire le compte de tous ces explorateurs ayant déjà trouvé la mort ici : ceux qui nous ont précédé sont presque tous morts. 

 

Le bilan est lourd, et même ceux qui n’y ont pas trouvé la mort sont condamnés.  Beaucoup sont morts durant la Grande Guerre.  Armytage, Johansen, tous deux se sont enlevés la vie après leurs expéditions respectives.  Amundsen, celui même qui a réussi à atteindre le Pôle magnétique en premier, disparaît mystérieusement en Arctique.  Scott et son groupe, tentant de retourner à leur point de départ, trouve la mort par la faim et le froid.  Mertz décède de douleurs à l’estomac.  Shackleton, après sa dernière expédition, trouve la mort par athérome des artères coronariennes.  Mackintosh et Hayward disparaissent alors qu'ils tentent de revenir à Cape Evans.  On ne retrouvera jamais leurs corps. 

 

 

Vendredi, 13 janvier 1933, Scott’s Hut

 

Presque tous les hommes de l’expédition ont trouvé la mort.  Un choix me reste : comment trouverai-je la mort?  Je ne serai pas une victime d’une mort lente et douloureuse.  Je choisis mon propre destin.

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